Identités flottantes
Le drapeau est un élément courant du champ visuel urbain. Signe traditionel de raliement collectif, il identifie une nation, une région, une ville…
Identités flottantes s’empare de cet objet symbolique et le détourne. Le drapeau ne désigne plus une entité nationale mais un individu marqué par au moins deux pays et plusieurs villes.
Le projet a été produit en collaboration avec des personnes qui ont chacune quitté leur pays d’origine pour vivre en France ou au Canada.
La composition générale et les couleurs sont celles des drapeaux québécois, canadien et français. Chaque drapeau se divise en trois parties. La partie gauche évoque les origines ; le portrait occupe le centre ; la partie droite offre une vue intérieure du domicile. Des phrases, des mots en plusieurs langues expriment les sentiments personnels de chaque participant.
Identités flottantes est plus un événement qu’une exposition. Le projet détourne la symbolique du drapeau pour repenser le rapport entre image publique et identité personnelle. Identités flottantes joue sur l’inter-nationalité en abordant les notions d’enrichissement culturel mais aussi de rejet, de solitude, de préjugé et de racisme. Selon la particularité du lieu qu’ils animent, les drapeaux entraînent des réactions des surprises, des résistances et des réflexions diverses.
Wavering Identities
Flags art a common element of the urban visual landscape. Traditional signs of collective rallying, they identify a nation, a region, a city, etc. Wavering Identities appropriates these symbolic objects and diverts their purpose. Instead of a national entity, each flag designates an individual who has been marked by many countries and cities. These flags were created in collaboration with people who have all left their native lands to come live in France or Canada.
The general composition and colours are those of the flags of Québec, Canada and France. Each flag is divide into three parts. The left side evokes origins, a portrait occupies the center, and the right side offers a partial view of a place of residence. Phrases and words in many languages express the feeling of each participant.
Wavering Identities is more an event than an exhibition. The project turns the symbolism of the flag around to rethink the relationship between public image and personal identity. Wavering Identities plays on inter-nationality by dealing with the notions of cultural enrichment but also rejection, solitude, territory, prejudice and racism. According to where Wavering Identities ’ “flags” are raised, they provoke a range of reactions: surprises, rejections and reflections related to the particular places they both solemnly and light-heartedly invade.
Lieux d’exposition / Exhibition Site :
Centre d’art contemporain Passages, Troyes, France, 2003
Canadian Cultural Centre / Centre Culturel
Canadien, Paris, 2000 Centre de
diffusion de la photographie Vox, Montréal, 2000
World Wild Flags, Liège, 2000
Festival de la photographie actuelle, Bitume-Bitumen, 1999
Nom : Mouawad – Prénom : Wajdi
Lieu d’origine : Beyrouth, Liban – Date de naissance : 16 octobre 1968
Profession : auteur et metteur en scène
Date d’arrivée au Canada : 1983
Il existe des événements qui exigent de ceux qui les subissent une position de résistance absolue contre quelque chose. Le sens de la résistance donne sens à la vie. La guerre comme événement insensé et le lieu de l’écriture comme espace pour répondre à la mort par la mort, par les mots, par la rage et la colère. Les chats, seuls, comprennent cette dichotomie.
Last name : Mouawad – First name : Wajdi
Place of birth : Beirut, Lebanon – Date of birth : October 16, 1968
Profession : author et theatre director
Arrival in Canada : 1983
Certain events demand those subjected to them to take a position of total resistance against something. The meaning of resistance gives meaning to life. War is an event without meaning and the place of writing is a space to respond to death with death, with words, rage and anger. Only cats understand this dichotomy.
Nom : Moulouba – Prénom : Odon Yvon Richard
Lieu d’origine : Brazzaville, Congo – Date de naissance : 22 mai 1978
Profession : étudiant en sciences politiques
Date d’arrivée en France : 1989
En effet, une bonne question est de savoir pourquoi j’ai choisi les photos présentées sur ce drapeau. La première représente l’île de Gorée, un haut lieu de la traite des Noirs. Jamais je n’oublierai le moment où j’ai franchi la porte du non-retour. Beaucoup d’esclaves enchaînés l’ont franchie avant moi et n’ont plus jamais revu les côtes africaines. Cette page de l’histoire est importante à mes yeux ; il ne faut jamais l’oublier. La seconde photo a été prise dans ma chambre. Elle représente mon bureau. C’est l’un des endroits où je passe le plus clair de mon temps. Le travail scolaire est la principale raison de ma venue en France. Je suis ici avant tout pour acquérir un savoir que je n’aurais pas pu avoir en Afrique. J’espère ainsi pouvoir contribuer, même de la manière la plus minime, au développement du continent. Enfin cette phrase : “Je serai toujours un Français de seconde zone.” La France est un pays que j’apprécie énormément. Je pense que je m’y suis bien intégré. Pourtant, je ressens une certaine discrimination. Certaines portes se ferment facilement aux étrangers ou aux Français d’origine étrangère, d’autant plus que leur nom ou leur couleur les identifie rapidement. D’après moi, pour un Français d’origine étrangère, avoir des papiers français ne lui donne pas pour autant les mêmes droits que les autres. La loi existe mais peut-elle être présente dans la vie de tous les jours?
Last name : Moulouba – First name : Odon Yvon Richard
Place of birth : Brazzaville, Congo – Date of birth : May 22, 1978
Profession : student in political science
Arrival in France : 1989
It’s a good question, in fact, to ask why I chose these photos for this flag. The first show Gorée Island, a famous center for the slave trade. I’ll nerver forget the moment I crossed the threshold of the door of no return. Hundreds of chained slaves had crossed it before me, never to see the African coast again. In my eyes, this page of history is crucial, it must never be forgotten. The second photo was taken in my room. It shows my desk. It’s one of the places where I spend most of my time. The main reason I came to France is for school. More then anything, I’m here to acquire knowledge that isn’t available to me in Africa. And I hope in this way to contribute, even minimally, to the development of the continent. As for the phrase I used : “Second zone citizen”. I have an enormous appreciation for France. I think I’m well integrated here, but I do feel a measure of discrimination. It’s part of everyday life. Some doors close more easily to foreigners or foreign-born French people, especially if they can be immediately identified by their names or their skin color. In my opinion, for a foreign-born French national, having French papers doesn’t automatically give you the same rights as the others. There’s the law, but can it really be present in everyday life ?
Nom : Damani – Prénom : Abd el-Kader
Lieu d’origine : Tiaret, Algérie – Date de naissance : 24 octobre 1969
Profession : historien de l’art
Date d’arrivée en France : 11 septembre 1993
Maintenant que je me suis entièrement débarrassé de l’amour d’un pays, maintenant que j’ai fait le deuil de mon territoire, me voici en image sur un drapeau. Cependant, ce n’est pas pour en aimer un autre, cet autre que je découvre en 1993. Ce fut, pour ainsi dire, une découverte obligée, j’avais l’air d’un Chrisophe Colomb butant sur un rivage ; lui croyait atteindre l’Inde, moi je me croyais à l’abri, à l’abri des regards, des injustices, des malheurs. A l’abri de la mort. A l’abri de tout, certes, mais au contact de quoi ?
D’abord, il y a l’art, univers dans lequel il fait bon vivre dans l’illusion. Je me faufile dans les drapés d’un Rubens, je viens m’asseoir à la table d’un Caravage, je force l’intimité de Georges de La Tour et je me plais à jouir de la rencontre d’une roue de bicyclette et d’un tabouret, je suis à mon aise dans l’illusion, je suis chez moi.
Il y a lui. Couché dans une gare. Je ne connais rien d’autre de cet homme que j’ai pris un jour en photo alors que j’attendais le train à la gare de Saint-Etienne. Ce jour-là, bien qu’il se soit couché en plein milieu de la gare, personne ne semblait le regarder. Il était noyé dans l’invisibilté du quotidien ; cétait un non-regardé, un abandonné du visible. […] Pendant un moment, ce n’était pas lui que je voyais, mais moi. Je me prenais en photo.
Il a “le sale Arabe”. C’est mon deuxième prénom, donné par des gens dont j’ignore l’identité. Ceux-là que nul ne présente, que nul ne comprend, que nul ne saisit. Ces gens s’amusent à donner des prénoms à tous, aux Noirs, aux Arabes, aux Juifs, mais ils oublient toujours de se présenter car ils n’ont pas de noms ni de prénoms, ils se contentent de s’appeler “Blancs”. Ils sont bizarres. Néanmoins nous leur avons donné des prénoms pour les identifier et, de peur qu’ils ne se confondent d’un côté avec tous les Blancs, de l’autre avec le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch – ce qui serait une catastrophe -, nous les avons nommés : racistes, fascistes, néonazis…
Et Frenda. Ma ville, mon seul territoire si un jour je me remettais à en revendiquer un . Il paraît que le mot Frenda s’écrivait “a frenda” et qu’il voudrait dire “ils se sont cachés ici”. Qui “ils”, pourquoi “se cacher” ? Je n’ai pas de réponse. Seule certitude dans l’histoire, cette petite ville fut celle d’Ibn Khaldoun et de Jacques Berque. Mais aussi et simplement la ville de mes amours, de mon enfance, de mon initiation. Pourtant cette ville ne m’appartient pas, comme elle n’a appartenu ni à Jacques Berque ni à Ibn Khaldoun. D’ailleurs, aucun territoire ne nous appartient, même si nous appartenons chacun à un territoire qui nous a choisis.
Last name : Damani – First name : Abd el-Kader
Place of birth : Tiaret, Algeria – Date of birth : October 24, 1969
Profession : art historian
Arrival in France : September 11, 1993
Now that I’ve completely rid myself of love for a country, now that I’ve mourned my land, here I am with my face on a flag. It’s not for love of another, however the one I discovered in 1993. Itwas, so to speak, a forced discovery, I was like Christopher Columbus hitting upon a coast. He thought he had found India. I believed I’d found shelter, shelter from the looks, the injustices, the unhappiness. Saved from death. Saved from everything, yes, but in contact with what ?
First, there’s art. A world in which you can live well on illusion. I hide in Rubens’ drapes, I take a seat at Caravaggio’s table, I insinuate myself into a Georges de La Tour, and give myself the pleasure of an encounter between a bicycle wheel and a stool. I’m at ease in illusion, at home there.
Then there’s him, asleep in a station. I know nothing else about this man I photographed one day while waiting for a train in the station of Saint Etienne. Though he was lying in the middle of the station that day, no one seemed to see him. He was lost in the invisiblity of the everyday. He was a non-seen, an abandoned piece of what’s visible. […] For a moment, it wasn’t him I saw, but myself. I took my own photograph.
And there’s the “dirty Arab”. That’s my second name, given by people whose names I don’t know. Those who nobody introduces, nobody understands, nobody gets. These people enjoy giving nicknames to everybody, to Blacks, Arabs, Jews, but they forget to introduce themselves, because they don’t have names or first names, they like being called “Whites”. They’re weird. Nevertheless, we’ve given them first names in order to identify them, and for fear of confusing them on one side with all the other whites, and on the other side with Malevitch’s “White Square on White Background”- which would be horrendous- so we’ve named them : racism, fascists, neo-nazis, etc.
And Franda. My town, my only land, if one day I start claiming one. It seems that the word Frenda is written “a frenda” and means “they hide themselves here”. Who? Why did hide? I have no answer. The only historical certainty is that this was the town of Ibn Khaldoun and Jacques Berque, but also simply, the town of may infatuations, my childhood, my initiation. Yet this town doesn’t belong to me, like it dosesn’t belong to Jacques Berque or Ibn Khaldoun. Besides, no land belongs to us , even if each of us belong to a land that choses us.
Nom : Caro Marin – Prénom : Eva
Lieu d’origine : Valence, Espagne – Date de naissance : 16 février 1972
Profession : coordonatrice culturelle
Date d’arrivée en France : 1996 – Retour en Espagne : 1999
Les mots sont, peut-être, les signes d’identités les plus importants. Avec eux je me sens plus à l’aise qu’avec l’image ou le drapeau, au-delà de la relation intime que je peux avoir avec ces deux images. L’une est mon image spéculaire, l’autre est celle qu’on m’attribue par convention, par appartenance à un espace géopolitique et social déterminé. toutes les deux me semblent également artificielles au point de me faire penser à une autre, à quelqu’un d’autre. Surtout le fait d’avoir ce fond de convention, le drapeau d’Espagne, fait de mon image spéculaire et photographique, une image courante. Dans cette dernière image, je ne garderai que le regard, un regard que j’ai remarqué sur quelques photographies depuis mon enfance jusqu’à l’âge adulte. Ce regard d’enfant que peut-être je n’ai jamais perdu ou ce regard d’esprit que j’ai toujours eu. C’est un regard très spécial pour moi, parce que transparent comme un voile qui reproduit des images passées et à venir. Le corps, un corps hérité à travers les générations, qui correspond à une image du travail. Le travail d’une terre aride et presque stérile. Un corps qui était prêt pour la rudesse mais qui a connu, grâce aux décisions de mes ancêtres, des temps meilleurs.
Last name : Caro Marin – First name : Eva
Place of birth : Valencia, Spain – Date of birth : February 16, 1972
Profession : cultural operator
Arrival in France: 1996 – Return in Spain: 1999
Words are perhaps the most important markers of identity. I feel more at one with them than with the image or the flag, above and beyond the close relation I could have with these two images. One is my mirrored image, the other is what is attributed to me through convention, through my connection to a geopolitically and socially determined space. Both are equally artifial in my eyes and make me think of another, of someone else.
Especially the fact of having this conventional backdrop, the Spanish flag, makes my mirrored photographic image a common one. In this last image I retain only the look, one I’ve seen in some photos of me from childhood up to adulthood. A childlike look I perhaps never lost or a spirited look I always had. It’s a very special look for me because it’s transparent like a veil, it projects images from the past and those to come. The body, passed down through generations, that correponds to an image of work. Working the arid, almost sterile earth. A body prepared for harshness, but thanks to my ancestors’ decisions, one who knew better times.
Nom : Ahumada – Prénom : Roberto
Lieu d’origine : Vina del Mar, Valparaiso, Chili – Date de naissance : 30 août 1947
Profession : hier, mécanicien de bateau – aujourd’hui, clown illusionniste
Date d’arrivée au Canada : 25 août 1975
La première image représente mon lieu de travail ; l’autre représente “l’exil contre l’oppression”, phrase présente dans l’hyme national du Chili avant la dictature de Pinochet, qui l’enleva. Aujourd’hui, la liberté est revenue. Cette phrase a retrouvé sa place dans le chant.
Last name : Ahumada – First name : Roberto
Place of birth : Vina del Mar, Valparaiso, Chile – Date of birth : August 30, 1947
Profession : before, boat mechanic – today, clown illusionist
Arrival in Canada : August 25, 1975
The first picture is of my work place, the other represents “exile against oppression”, which was present in the Chilean national anthem before the dictatorship of Pinochet, who took it out. Freedom has returned today, and this part has been reintegrated into the song.
Nom : Lee – Prénom : Emy
Lieu d’origine : Xian, Shanxi, Chine – Date de naissance : 1966
Profession : Actrice, peintre, professeur, chanteuse
Date d’arrivée au Canada : mars 1991
L’image de gauche est celle de ma ville natale que j’aime beaucoup. L’image de droite est celle de mon atelier ici à Montréal, qui m’accompagne tous les jours et qui est pleine de souvenirs. La phrase en anglais indique ma recherche de possibilités. Celle en chinois indique ma recherche du futur. Celle en français indique la recherche, l’ouverture. En résumé, tout indique ma recherche d’occasions et d’échanges culturels.
Last name: Lee – First name: Emy
Place of birth: Xian, Shanxi, China – Date of birth : 1966
Profession : actress, painter, instructor, singer
Arrival in Canada : March 1991
The picture on the left is of my native town that I love a lot. The picture on the right is of my studio, here in Montreal, which has been with me every day and is filled with memories. The phrase in english means my search for possibilities. The one in chinese means my search for the future. The one in french means searching, openness. In short, they all point to my search for cultural occasions and exchanges.
Nom : Poirat – Prénom : Guy
Lieu d’origine : Montréal, Québec, Canada – Date de naissance : 9 novembre 1950
Profession : artiste
Date d’arrivée en France : 1993
Le hasard a-t-il sa loi ? J’ai quitté le Canada pour la France en janvier 1993. Ironie du sort, mon billet d’avion comportait une erreur d’impression : le retour était prévu en janvier 2001. Depuis, je suis retourné deux fois au Canada. Une fois pour les impôts, une fois pour enterrer mon père.
Pour moi, les valeurs humaines sont plus importantes que les notions de territoire ou de nation. Les frontières n’existent sans doute que pour permettre la transgression et nous faire avancer dans la vie. Je n’ai jamais eu le sentiment d’appartenir à une collectivité, un territoire, une nation. Je ne me suis donc jamais considéré non plus comme un migrant. Je suis un nomade dans l’âme.
Il faut partir et voyager et seul se retrouver. L’exil m’a découvert à moi-même. Vivre à l’étranger, c’est visionner ses vies comme dans un film. Chaque jour, j’y apprends ma vie. J’ai laissé les êtres aimés en arrière ; j’extrais du présent toute sa sève et cette dualité est ma force créatrice.
Et un jour enfin je serai un. Je réconcilierai le lointain et le proche, l’idéal et le quotidien, le passé et le présent, et l’avenir sera parfait.
Last name : Poirat – First name : Guy
Place of birth : Montreal, Quebec, Canada – Date of birth : november 9, 1950
Profession : artist
Arrival in France: 1993
Does chance have a logic? I left Canada for France in January 1993. By a strange irony of fate, plane ticket was misprinted and the date given for the return flight was January 2001. Since then I’ve returned twice to Canada, once for tax reasons, and once to bury my father.
For me, human values are more important that notions of territory or nation. Frontiers exist no doubt to be transgressed and to help us along in life. I never felt I belonged to a group, a territory, a nation. So I never considered myself a migrant either I’m a spiritual nomad.
You have to leave and travel, to orient yourself alone. Exile has been a self-revelation. Living abroad is like viewing your lives in a movie. Each day I learn my life. I left loved ones behind. I suck all the nectar out of the present and this duality is my creative force.
One fine day, I’ll be one. I’ll reconcile what’s far with what’s close, the ideal with the daily, the past with the present, and the future will be perfect.